Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
L'observateur Flinois
23 mai 2023

Fret ferroviaire et lutte contre les gaz à effet de serre

Grande émotion ce lundi 23 mai : les journaux titrent sur une enquête lancée par l’Union Européenne qui portera notamment sur les avances de trésorerie effectuées par la SNCF à partir de 2007 et jusqu’au 1er janvier 2020 à son réseau de transport de fret. Fret SNCF, la Société Anonyme Simplifiée crée le premier janvier 2020 avec 170 millions de fonds propres et qui a réalisé en 2021 un chiffre d’affaires de 70 million d’Euros risque de devoir rembourser plus de 4 milliards d’Euros d’avance de trésorerie perçues entre 2007 et 2020.

Vu la disproportion entre les sommes litigieuses et les ressources de Fret SNCF, il existe un risque réel de disparition de cette entité.

Gouvernement et syndicats sont attentifs et réagissent à l’information. Le gouvernement « rappelle que le groupe SNCF a contribué à maintenir l’activité de fret en France alors que le transport ferroviaire de marchandises faisait face à une concurrence accrue ». Il souligne le rôle crucial de l’entreprise face à l’urgence climatique, le transport par train représentant une solution décarbonée. « Nous sommes plus que jamais déterminés à garantir et développer la place du fret ferroviaire en France », a souligné le ministre des transports, Clément Beaune, cité dans le communiqué.

La Confédération générale du travail (CGT) a dénoncé la transformation de Fret SNCF en société de droit privé, selon un montage élaboré sous l’autorité de la ministre des transports de l’époque, Elisabeth Borne, l’actuelle première ministre. L’organisation syndicale dénonce une « procédure scandaleuse » de la part de Bruxelles qui risque d’entraîner la mort de Fret SNCF.

Cette société « pourrait à terme être liquidée avec les conséquences sociales, économiques et environnementales induites »,

Paradoxe apparent : d’un côté l’UE risque de condamner à disparaître une société de transports ferroviaire alors que de l’autre, cette même UE presse ses membres à relancer le fret ferroviaire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ce paradoxe risque d’amener de l’eau au moulin des eurosceptiques, il n’est pourtant  qu’apparent puisque fruit de deux logiques disjointes.

En fait l’UE sanctionne le soutien artificiel du fret ferroviaire en France par le biais d’aides illégales. Ce que confirme la CGT en indiquant comme racine du mal la transformation de Fret SNCF en société privée, c’est-à-dire avec des comptes séparés permettant les comparaisons. Ce sont les conditions financières de soutien masqué et l’incapacité chronique de la branche fret de transport ferroviaire à équilibrer son exploitation qui sont attaquées par l’UE et non pas l’acte de transporter par le train des marchandises. C’est le moyen qui est visé et non pas la finalité.

L’amalgame fait par les syndicats et certains partis politiques est éminemment malhonnête car ils embrouillent les Français. Oui ! L’Europe encourage le report modal vers le ferroviaire. Non ! L’Europe ne tolère pas que la mauvaise gestion endémique soit camouflée par des transferts illégaux qui faussent la concurrence

Un recueil fort intéressant (Comparaison  France Europe du transport ferroviaire) permet de mieux cerner les contours de la problématique. On y apprend que la part modale du transport ferroviaire dans le transport total de fret est faible en France (10 %), en comparaison des autres pays étudiés et que le trafic ferroviaire ainsi que le volume (en tonnes.km) de fret transporté sur le réseau ferré sont quatre fois moins importants qu’en Allemagne et que  Fret SNCF (l’opérateur historique) réalise 69 % du trafic de marchandises en trains.km, au même niveau que l’Espagne (68 %) et au-dessus de l’Allemagne (52 %)

Concrètement, ces chiffre indiquent que seulement 10 % du trafic marchandises se fait en train dont la majorité par Fret SNCF. En Allemagne, 40% des marchandises prennent le train.

Globalement, le fret ferroviaire allemand semble se porter plutôt  bien et se développer bien que la concurrence  entre opérateur historique et entreprises privées y soit plus rude.

Quelques éléments d’explication, chacun se fera son opinion.

Sous la pression (déjà)  de l’UE, l'État français a souhaité accélérer l'ouverture à la concurrence qui est devenue effective le 1er avril 2006

Les syndicats se sont tirés d'entrée une balle dans le pied. Pour dénoncer la filialisation au 1er janvier 2020, en décembre 2019 et janvier 2020, une grève est venue réduire fortement les capacités de transport de Fret SNCF et fragiliser sa base de clientèle. Les clients qui espéraient peut-être une meilleure régularité ont été édifiés tout de suite : rien de nouveau dans le fret SNCF.

Au contraire, Fret SNCF a été surpris d’emblée par le dynamisme et la réactivité des « nouveaux entrants » qui ont pris une partie des marchés rentables, les trains massifs (dont la composition n'est pas remaniée entre l'origine et la destination), lui laissant le soin d'opérer des trafics plus coûteux (trains de lotissement, créés par associations de wagons isolés, qui passent par les triages pour changer de train) dans des zones plus diffuses.

Confidence d’un cadre de la SNCF expliquant la perte des trains massifs. Les tarifs proposés par les concurrents sont inférieurs de 20 à 30% à ceux de la SNCF. Les trains entiers sont composés dans les usines  qui disposent d’un embranchement au réseau national et il faut aller les chercher sur ces bouts de réseaux privés. Problème, ils ne sont pas électrifiés et il faut  pénétrer chez le client avec une motrice diesel. Par contre, les trains de fret de la SNCF sont obligatoirement tractés par une motrice électrique. La SNCF envoie donc un tandem motrice diesel / motrice électrique pour aller atteler le train de marchandise et l‘amener sur son réseau.

Autre difficulté liée au statut des cheminots. Un conducteur ne possède qu’une seule qualification et un conducteur diesel ne peut pas conduire une motrice électrique et vice-versa. Ce principe vise à multiplier les emplois en empêchant artificiellement la polyvalence. SNCF envoie donc une locomotive diesel et une locomotive électrique, chacune avec son conducteur chez le client d’où le surcoût !

Le comble est que, de l’aveu même de ce cadre de la SNCF, les concurrents tractent tout le trajet avec une motrice diesel ou utilise un tandem loco diesel-loco électrique mais manœuvré par le même mécanicien. De plus, bien souvent, celui-ci est un ancien cheminot de la SNCF qui a pris sa retraite à 50 ou 52 ans et qui a rempilé dans le privé en complétant sa qualification de conducteur (électrique ou diesel) puisque n’étant plus bridé par le statut.

Le dévoiement des règles de départ très précoce des cheminots et des avantages SNCF acquis sont connus. Certains cheminots retraités meublent leur temps libre en devenant convoyeur de voitures de location. Il faut en effet organiser les flux retour des véhicules dans les agences de départ pour compenser les déséquilibres. Ainsi, une berline de luxe louée à Lille et rendue à Nice devra revenir assez vite à son point de départ. Les cheminots voyagent en train gratuitement ; un Lillois peut donc descendre sans frais en train à Nice et convoyer le véhicule sur le trajet retour moyennant rémunération et frais payés. Le cheminot et le loueur font une bonne affaire financière. Les contribuables paient une partie de la retraite du cheminot (le régime est déficitaire). La SNCF paie le trajet de son retraité et perd des clients potentiels en participant indirectement à la diminution du coût de location des voitures.

Une fois de plus les syndicats de cheminots vont travestir la défense des emplois ferroviaires (c’est leur job, il est légitime et ils le font plutôt bien) en une défense des mesures de lutte contre le dérèglement climatique. C’est le moyen dévoyé qui est pourtant visé et pas la finalité qui est toujours plus pressante.

Publicité
Publicité
Commentaires
L'observateur Flinois
  • Ce blog n'a pour ambition que de refléter les opinions, remarques et propositions de son auteur. Il est bien sûr inspiré par la vie à Flines-les Râches, où je réside, mais aussi par l'actualité en général.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité