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L'observateur Flinois
29 août 2022

Fin de l'abondance ?

Lors du propos introductif du premier conseil des ministres de la rentrée, ce 24 août, le président de la République a évoqué : « "la fin de l'abondance", que ce soit "des liquidités", "des produits de technologie", des matières premières ou de l'eau. À cela, s'ajoutent "la fin des évidences", comme de la démocratie, et "la fin de l'insouciance". »

Comme mus par un réflexe pavlovien, tous les ténors de la gauche et des syndicats ont fustigé "La fin de l'abondance" en évoquant pêle-mêle le mépris pour les Français qui doivent se battre à longueur d’année pour joindre les deux bouts, l’accroissement des dividendes distribués aux actionnaires ou les deux. Chacun voit midi à sa porte, interprète dans le sens que lui suggère le prisme de ses lunettes idéologiques et comprend (ou pas ?) ce qu’il veut ...ou peut.

Un article de la Voix du Nord de samedi 27 août titre : « Près de 20% de l’eau du Nord et du Pas-de-Calais perdue à cause des fuites. » On y apprend que le rendement des réseaux de distribution (quantité d’eau consommée et facturée divisée par la quantité d’eau pompée, potabilisée et injectée dans les tuyaux à la source) est de 83% pour le Nord et 77% dans le Pas-de-Calais. En moyenne, 1/5 de l’eau produite n’est pas utilisée par les clients et est perdue en route. C’est énorme et ça représente l’équivalent de la consommation de plus de 300 000 personnes pour le territoire de l’Agence de l’Eau Artois Picardie (Nord + Pas-de-Calais + Somme + parti de l’Oise + partie de l’Aisne)

Coïncidence ? Sujet brulant d’actualité ?, le journal Le Monde publie lui aussi un article : « L’industrie française face au stress hydrique » qui traite des risques que fait courir à certaines filières industrielles la sécheresse actuelle (Chimie, Papeterie, Agroalimentaire, production d’électricité,…) On y apprend que les industries ont déjà réduit drastiquement leurs consommation (15 m3 pour produire une Peugeot en 1995 contre 3,5 m3 en 2015 ; 40 m3 pour une tonne de papier en 1990 contre17 m3 en 2017) mais que cela ne sera pas suffisant.

Par exemple EDF rencontre déjà des difficultés dues à la faiblesse des débits dans la Loire, la Garonne, le Rhône et la Moselle pour refroidir ses réacteurs nucléaires implantés le long de ces cours d’eau, tandis que la batellerie a dû réduire par trois le chargement de ses péniches pour éviter de talonner sur les fonds et de s’échouer sur le Rhin.

Une étude du Bureau de recherche géologiques et minières de 2012 prévoit une diminution de la recharge annuelle des nappes phréatiques (pluies d’automne - hiver) de 10% à 25% par rapport à la période 1961-1990 et une chute du débit moyen annuel des cours d’eau qui pourrait diminuer de 10% à 40%.

On peut lire par ailleurs que la réutilisation d’eaux épurées traitées (c’est-à-dire des eaux en sortie de station d’épuration, débarrassées des polluants mais non potables) plafonne à 0,1% et que le gouvernement a un plan pour tripler ce score en visant un très modeste 0,3% de réemploi. Nos autorités sanitaires semblent vent-debout  et freineraient au maximum. Elles ont sans doute raison : l’Italie réemploie10% de ses eaux usées retraitées, l’Espagne 15%, Singapour 30% et Israël 87% et les populations de ces pays sont notoirement dans un état sanitaire lamentable. Les réemplois courants sont l’irrigation agricole, l’arrosage des espaces verts, le lavage des voiries, le nettoyage des véhicules ou le curage des réseaux d’assainissement. Un des arguments des fonctionnaires, évoqué précédemment dans la Voix du Nord est que les eaux rejetées par les stations d’épuration aident à soutenir le débit des rivières. Argument tendancieux car une partie des eaux de réemploi retourne au milieu naturel via les réseaux de collecte et les nappes phréatiques.

Revenons modestement à notre Douaisis. Les relevés de la station météorologique de Lesquin indiquent une pluviométrie annuelle cumulée au mois d’août 2022 de 274 mm, en déficit de 42% par rapport à la moyenne trentenaire de référence (1981-2010). La sécheresse est parfaitement illustrée : février, mars, avril, mai, juillet et août ont accusé un déficit moyen de 65% par rapport aux normales, avec un déficit record de -93% en juillet !

L’eau devient effectivement une denrée qui se raréfie et il va falloir se pencher rapidement et avec efficacité sur sa gestion. Outre la sobriété dans l’usage, il faudrait sans doute s’attaquer en même temps à la résorption des fuites dans les canalisations d’acheminement.

L’article de la Voix du Nord pointe les problèmes de mouvement des sols dans le bassin minier qui occasionnent des ruptures de tuyaux et des fuites. Il évoque aussi la vétusté des équipements qui auraient un âge moyen de plus de 50 ans. Rénover un réseau d’eau potable coûte cher. Les petites communes qui s’obstinent à gérer elles-mêmes leur production et distribution d’eau potable au prétexte (vertueux à la base) de fournir une eau la moins chère possible à leurs administrés ne réalisent pas suffisamment de produits par la vente de celle-ci pour pouvoir entreprendre des travaux de modernisation. Cette politique à courte vue ne va pas tarder à se retourner contre les habitants de telles communes. La loi NOTRé (Nouvelle organisation territoriale des régions) de 2015 avait notamment pour objet d’interdire à terme les petites régies communales, sans capacité d’investissement au profit de syndicats intercommunaux, mais les élus l’ont toujours présentée comme attentatoire à leur liberté et ont obtenu un prolongement des délais jusqu’en 2026.  Parmi eux il y a sans aucun doute certains qui s’offusquent des propos présidentiel sur la fin de l’abondance…

Il y a encore effectivement des progrès à faire parmi nos élus. Je me souviens de Monsieur Poiret, président de Douaisis Agglo présentant le bilan annuel de la gestion de l’eau de la CAD il y a quelques années : il s’enorgueillissait d’avoir un taux de renouvellement des réseaux de l’ordre de 1,5% par an alors que la moyenne nationale est plutôt de 1%. Cocorico ! Si on réfléchit deux minutes, renouveler 1% de réseau chaque année signifie qu’il faut 100 ans pour le refaire complétement (ce qui est cohérent avec un âge moyen de 50 ans). Avoir comme objectif de le faire en seulement 66 ans mérite-il de se réjouir autant ? Bien sûr, bâtir le plus grand boulodrome d’Europe, une patinoire énergivore et consommatrice d’eau ou un énième planétarium est plus valorisant pour l’image politique que de tirer et enfouir des tuyaux. Heureusement que l’intéressé affirme n’avoir, à son âge, plus aucune ambition politique. On l’a échappé belle.

Dernier point. Les carburants sont comptés avec une tolérance de +/- 0,3%. Pour l’eau, règlementairement les compteurs sont précis à +/- 4% soit 13 fois moins précis. Pour une consommation standard moyenne de 120 m3 par foyer français, cela représente +/- 4,8 m3 ou 4800 litres. Au prix moyen  national de 3,98 €/m3 (c’est un peu plus dans les Hauts-de-France) l’écart est d’une vingtaine d’Euros en plus ou en moins. Les prix de l’eau ne pouvant qu’augmenter, cet écart pour l’instant encore modeste va croître.

Quoi qu’en pensent certains, qui de toute façon sont incapables de porter un jugement objectif ou même seulement nuancé, sur la moindre déclaration du président de la République et s’auto intoxiquent à la démagogie populiste (pléonasme ?), l’abondance est bel et bien derrière nous.

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