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L'observateur Flinois
6 décembre 2020

AMAZON

Article intéressant dans Le Monde du 4 décembre titré : « Emploi : l’e-commerce au banc des accusés »

Par ces temps de Covid-19, les commerces de proximité ayant été fermés une deuxième fois, les ventes à distance se sont envolées : il suffit de voir le trafic de fourgons ou petits camions siglés Collissimo, TNT, Fedex, DHL, France Express  et autre Réseau Express dans les rues de Flines pour avoir un aperçu visuel de l’importance des livraisons.

Il faut bien continuer à vivre direz-vous (avec raison), mais cela n’empêche pas de garder un peu de recul.

Selon Le Monde, une étude publiée pour le Black Friday montre qu’entre 2009 et 2018 l’e-commerce aurait détruit en France 82 000 emplois avec 114 000 destructions nettes dans le commerce de détail non alimentaire et 32 000 créations dans le commerce de gros. D’ici à 2028, 46 000 à 87 000 nouveaux emplois pourraient être détruits selon la progression de la vente en ligne.

Selon la théorie de la « destruction créatrice » de l’économiste Joseph Schumpeter, les destructions de postes dans les commerces de proximité par la vente en ligne devraient être compensées par la création d’emplois dans le commerce de gros ou les livraisons. Il semble malheureusement que la nouvelle façon de distribuer arrive globalement à opérer avec moins de ressources.

En clair, la vente en ligne consomme moins de moyens pour fonctionner. Les coûts de revient moins élevés permettent cependant de dégager une marge confortable pour le distributeur tout en gardant un  prix de vente bas, ce que plébiscitent les clients.

A priori, ce cercle parait vertueux et il n’y a que des gagnants sauf que, le transfert cher à Joseph Schumpeter se fait mal : le total des emplois nécessaires créés par la vente en ligne est inférieur à celui des emplois détruits dans le commerce physique. Il y a un transfert de demandeurs d’emploi vers la collectivité économique. Charge aux autres à réparer les dégâts commis par les nouveaux entrants.

Bien sûr, on a tendance à ne parler que des leaders et le Monde ne rompt avec la tradition en commentant abondamment le cas Amazon « qui revendique la création de 9 300 emplois directs en France et 110 000 emplois indirects dans la chaîne de production mais y agrège aussi bien la livraison, le fret que la construction, la restauration, le nettoyage… ».

Personnellement, je trouve Amazon un peu timide dans ses revendications d’emplois indirects : il pourrait aussi comptabiliser sans vergogne les ouvriers des constructeurs de fourgons, les garagistes qui les entretiennent, les salariés des manufacturiers de pneus... qui contribuent tous indirectement à ses livraisons ainsi que les employés d’EDF qui produisent l’électricité nécessaire pour faire fonctionner l’informatique utilisée pour ses ventes en ligne. La mauvaise foi des dirigeants de cette multinationale est patente. L’un d’entre eux, interrogé il n’y a pas très longtemps à propos des impôts non payés en France (le journaliste pensait sans équivoque à l’impôt sur les bénéfices) a répondu par le montant total (très élevé) versé pour les impôts fonciers, locaux et TVA… qui sont des taxes indirectes auxquelles on peut difficilement légalement échapper.

Devant ces mauvais chiffres pour l’emploi, les adeptes de Schumpeter continuent,  avec optimiste, de prétendre que cela est temporaire « mais qu’à long terme toutefois, des concurrents pourraient se mettre à niveau tout en gardant des magasins physiques »  et que « la baisse des prix liée à l’e-commerce pourrait faire monter la consommation et donc l’emploi » D’autres pensent qu’il « faudrait favoriser un e-commerce rationnalisé et compatible avec la transition énergétique »

Ce n’est pas en énonçant ces vœux pieux que l’on va lutter contre les destructions d’emplois. Les ventes en ligne sont très pratiques, mais avant de céder à la facilité et de cliquer depuis son salon, il faut peut-être un peu réfléchir.

L’Économie, ce sont des flux, souvent à somme nulle. Tout ce que je gagne en privilégiant le seul prix bas, contribue à enrichir des actionnaires des sites de vente en ligne mais aussi à priver d’emploi les salariés de la vente de détail. Si en plus on a un peu de sens écolo, on peut enrichir sa réflexion des dégâts à l’environnement infligés par la multiplicité des fourgons de messagerie express ainsi que les dépenses énergétiques des transactions informatiques et des data center.

Dans un souci louable d’équilibre, Le Monde proposait sur la même page que l’article déjà cité un second article donnant la parole aux salariés d’Amazon à Lauwin-Planque titré : « Nous sommes les oubliés de toutes ces critiques »

Les salariés douaisiens défendent bien entendu leurs jobs : « ils regrettent les controverses concernant l’entreprises et mettent en avant leurs emplois » C’est tout à fait compréhensible, leurs points de vue sont honorables et peuvent être entendus. Cependant les techniciens des centrales électriques à charbon, les ouvriers des usines de pesticides ou des fabriques d’armement ont le même reflexe. Cela ne signifie pas pour autant que leurs secteurs ne puissent pas susciter des questions légitimes.

Christian Poiret, maire de Lauwin-Planque où est situé l’entrepôt Amazon, président de Douaisis Agglo  qui gère la zone d’activité de Lauwin-Planque et vice-président Finances du Conseil départemental a été interviewé par les journalistes du Monde. Il déclare : «  C’est la promesse de l’emploi qui m’a poussé à « tout faire » pour que l’entreprise s’implante sur notre territoire » et « Le profil des chercheurs d’emploi de la région correspondant à ce que cherche la plate-forme »… «  une main-d’œuvre  qui n’est pas obligatoirement qualifié et donc qui peut faire du picking (préparation de commandes), de la réception de commandes, de l’emballage, être cariste… je préfère les avoir là qu’au RSA »

Christian Poiret prie en fait trois fois pour sa chapelle. En tant que maire de la commune, il a commodément à proximité un employeur qui recrute souvent des intérimaires, vers qui il peut aiguiller ses habitants en recherche d’emploi ; en tant que président de l’agglo et aménageur de la zone, il conforte une source de financement de son budget ; en tant que vice-président chargé des finances de la collectivité qui verse le RSA (Revenu de Solidarité Active, dont il souhaite, en bon gestionnaire, baisser la dépense), c’est sûr qu’il préfère des salariés d’Amazon à des bénéficiaire du RSA.

L’analyse sur le niveau moyen de formation des demandeurs d’emploi du Douaisis est certainement pertinente et est une séquelle des mono-activités imposées dans le bassin minier. On a remplacé la mono-activité d’extraction charbonnière déclinante par une autre mono-activité dans les années 70 : l’industrie automobile. Les deux activités étaient surtout utilisatrices « de bras » plutôt que « de têtes ». Le niveau de formation des salariés correspondait donc plutôt au profil « manuel »

Plutôt que d’essayer, en compagnie de l’État, de la Région, du Département, des organismes de formation et de toutes les autres bonnes volontés, de renverser la tendance en augmentant sur le long terme le niveau de formation et la présence d'activités qualifiées,  Christian Poiret et son exécutif communautaire jouent l’immédiateté, plus politiquement payante à court terme : ils préfèrent miser sur une autre mono-activité, la logistique, pour remplir les zones d’activités de l’Agglo et embaucher les habitants avec leurs faibles niveaux de qualification.

En fonction de ses trois casquettes, on peut comprendre l’intérêt de M. Poiret, mais son avis n'est pas totalement impartial.

L’étude évoquée dans le Monde montre que, globalement, Amazon constitue un « mauvais concurrent » dans le sens donné par l’économiste américain Mickael Porter qui qualifie ainsi un nouvel entrant qui déstabilise totalement un marché à son seul profit, avec peu de retombées pour l’ensemble des autres parties prenantes. Si l'on intègre les nécessités de la transition écologique, le modèle Amazon devient encore plus un contre-exemple.

Finissons par les contingences sociétales. Pourquoi Amazon n’essaye-t-il pas de se développer en Afrique ? Réponse : à cause de l’état très inégal des infrastructures de communication physique (routes, chemin de fer, etc.), de télécommunication et bancaires.

Les deux premières sont généralement payées par les contribuables : ce sont les impôts qui permettent de financer les routes, les ponts, l’électrification massive et les premiers réseaux de télécom. Ces facteurs favorables, Amazon les a trouvé en Occident et a donc pu se déployer, sauf que sa politique agressive d’optimisation fiscale (certainement légale) lui permet de ne pas rembourser les contribuables investisseurs en payant l'intégralité des impôts sur ses bénéfices… légal mais pas très moral.

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